dimanche 29 novembre 2009

Zygel et Hervé....en duo pour le meilleur


De Jean-François Zygel, on connait (ou pas) le pédagogue, celui des « leçons de musique ». On aime ou on déteste cette volonté, voire cet acharnement, de mettre la musique classique à la portée du plus grand nombre, à l’instar de la « boite à musique », émission qu’il anime sur la chaîne Mezzo. Souvent drôle, ce professeur du conservatoire de Paris tente de vulgariser (au sens noble) cette musique souvent considérée par les profanes comme excluante.

Pourtant, Jean-François Zygel est d’abord et avant tout un musicien ; la preuve, dans ses séances d’improvisation. Familier de l’exercice au piano, qu’il a notamment pratiqué en solo ou avec le pianiste canadien Gonzales, il récidive cette fois avec le jazzmann et compositeur Antoine Hervé. Exercice dis-je car les morceaux s’apparentent à autant d’exercices de style…Interprétés au piano à quatre mains ou en deux pianos, comme il se doit, sans partition, les morceaux créent des atmosphères (hommage à Nanterre, ville de la maison de la musique, dans laquelle ils se sont produits), illustrent des couleurs, selon les désidératas du public qu’ils font participer.

Disposant d’une culture musicale considérable, reprenant, à la demande du public, la Marseillaise, le 24ème caprice de Paganini ou le boléro de Ravel, les deux improvisateurs ne sombrent jamais dans le professoralisme. Au contraire, les deux pianistes, ayant fréquenté ensemble les bancs du conservatoire de Paris, illustrent parfaitement ce talent particulier que l’historien de l’art italien, Federico Zeri, prête aux improvisateurs : «Je ne crois pas aux improvisateurs. En réalité, le grand art est toujours le produit d'une extraordinaire habileté technique». Car malgré la bonhomie et l’insouciance que les deux compères adoptent sur scène, celle-ci ne laisse que mieux entrevoir le talent considérable qui sont les leurs : Jean-François Zygel, pour ce qui est du répertoire classique et Antoine Hervé pour le jazz (ce dernier a dirigé l’orchestre national de jazz entre 1987 et 1989).

A travers ces échanges, ils illustrent parfaitement ce que la musique, lorsqu’elle est transmise avec talent, peut produire de mieux : des émotions. Une belle preuve de dialogue possible entre les styles, les musiques, pourvu que le talent soit au rendez-vous au service de ce qui réunit tous les mélomanes : l’amour de la musique.





samedi 20 juin 2009

Le roi Roger de Karol Szymanowski à l'Opera Bastille


C’est l’histoire d’un roi de Sicile (Roger), qui termine seul, abandonné par sa femme Roxane et son peuple, après avoir abandonné le faste de la cour pour mener une vie de mendiant. C’est l’histoire d’un berger contaminant la reine Roxane puis le roi. C’est l’histoire d’un opéra (polonais), méconnu, dû à Karol Szymanowski (1882-1937) entrant au répertoire de l’opéra Bastille en cette fin de règne de Gérard Mortier.
Imaginez un texte frisant avec le roman à l’eau de rose, un roi en costume trois pièces se faisant voler la vedette (et la femme) par un berger ressemblant furieusement à Jésus Christ aux allures de pop star bedonnante. L’histoire située dans un passé imaginaire, oscillant entre les mythologies grecque et chrétienne, est desservie ici par une mise en scène volontairement provocante cadrant mal avec le tragique de l’histoire : le berger réapparaît ainsi au dernier acte (le troisième) la tête couverte d’une peluche de souris, une bouée fluo autour du ventre. Jésus Christ renaît en Mickey mouse...Cette mise en scène tend à gâcher l'immense talent des interprètes et de la direction, assurée par Kazushi Ono
Gérard Mortier a pourtant prévenu les âmes sensibles : il y a une projection d’image…il paraît notamment que le metteur en scène, Warlikowski, est inspiré par l’univers cinématographique (Visconti, Fassbinder, Pasolini, Kubrick)… D’ailleurs, le personnage du berger n’est pas sans rappeler le visiteur du "Théorème" de Pasolini qui séduit tous les membres d’une riche famille…suivre les sur-titres, les images et l’intrigue (pour le moins complexe et réinterprétée librement) rendent cependant les références fumeuses…

Par Mariusz Kwiecien (le Roi Roger), Olga Pasichnyk (Roxana), Stefan Margita (Edrisi), Eric Cutler (le Berger), Orchestre et choeurs de l'Opéra de Paris, Kazushi Ono (direction). Jusqu'au 2 juillet à l'Opéra Bastille. Diffusion sur France Musique, le 27 juin à 20 heures, sur arteliveweb.com le 20 juin à 20 heures.



lundi 9 mars 2009

La "lionne" française


« La Lionne », c’est ainsi qu’on surnommait Régine Crespin.(1927-2007). Ambassadrice du chant français à l’étranger, celle qui a su séduire Herbert von Karajan et le public du festival de Bayreuth en 1958 pour son interprétation de Kundry dans Parsifal a pourtant eu du mal à franchir les portes de la célébrité dans son propre pays. Reste l’une des plus grandes Maréchale et l’un des plus grands sopranos wagnériens de la seconde moitié du XXème siècle.

Née en 1927, Régine Crespin a connu une carrière internationale d’une grande richesse, allant de l’opérette (la Périchole) au drame avec pour sommet une Kundry, datant de ses débuts à Bayreuth, en passant par la Marie Stuart de Schumann et les Nuits d’été de Berlioz.
Excellant aussi bien dans des grands rôles que dans des créations (elle participe à la première française des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc), elle révèle dans La Grande-Duchesse de Gerolstein un autre pan de sa personnalité, celui de la femme facétieuse et pleine d’enthousiasme.
Ovationnée dès ses débuts sur la scène de l’opéra de Mulhouse pour son interprétation d’Elsa de Lohengrin comme « une artiste qui a toutes les chances de faire une brillante carrière » (Journal Républicain, 1950), la cantatrice a connu une carrière faite de retentissants succès et de déconvenues, comme lorsqu’elle quitte la scène sous les huées à la fin du premier acte de Parsifal en 1974.

Ayant entamé une tournée mondiale d’adieux en 1989, c’est à l’enseignement que Régine Crespin s’est consacrée pendant les vingt dernières années de sa vie, formant ainsi, de 1976 à 1992 plusieurs générations de chanteurs.

La voici dans un répertoire (léger) qu'elle affectionnait, à savoir la Grande Duchesse de Gerolstein de Jacques Offenbach interprétant "Ah que j'aime les militaires"



mardi 16 décembre 2008

« Rencontre de l'harmonie et de l'invention »

En cette période d'avent où Noël commence à poindre son nez et où l'hiver approche à grand pas, il serait de bon ton et d'actualité de parler de la saison des neiges. Pourtant, je préférerais (tenter d') apporter une éclaircie dans ce ciel bien menaçant en me consacrant au printemps des célébrissimes quatre saisons de Vivaldi (1678-1741).

Publiés à Amsterdam en 1724, ces concertos sont les quatre premiers opus du recueil au titre très poétique de « Il cimento dell'armonia e dell'invenzione » (« Rencontre de l'harmonie et de l'invention »). Poésie justement car ces concertos sont inspirés de sonnets attribués à Vivaldi. Chacun évoque une saison, la partition associant explicitement divers épisodes musicaux à certains vers. Voici le texte accompagnant la partition du concerto
« Le printemps est venu, apportant gaieté,
Les oiseaux le saluent de leurs chants exaltés
Et les ruisseaux, caresses par le souffle de zéphyr,
Coulent en même temps avec de doux murmures.
Les cieux se sont voilés de nuages obscurs
Que les éclairs et le tonnerre ont annoncés.
Mais quand se refait le silence, les oiselets
Reviennent à nouveau remplir l'air de leurs chants.
Alors la prairie ondulante, tout en fleurs,
Murmure de toutes ses feuilles frissonnantes.
Le chevrier sommeille, près de son chien fidèle.
L' âme ivre du son des musettes pastorales,
Nymphes et bergers dansent dans la clairière
Pour la radieuse entrée en scène du printemps. »

Maître incontesté du concerto (il en a composé 450 .....450 fois le même, disent les mauvaises langues), Antonio Vivaldi a contribué à en fixer sa forme. La préoccupation du compositeur vénitien n'est pourtant pas uniquement formelle puisqu'il accorde aussi une importance nouvelle au son, au timbre des cordes en l'occurrence. Dans le Printemps, qui chante l'éclosion fleurie de la nature, la volonté expressive se manifeste par l'ornementation de la ligne mélodique.
Comme le suggèrent ces quelques vers, le printemps est avant tout la saison des contrastes. La douceur de zéphyr côtoie la menace de l'orage. C'est la musique elle-même qui est ondulante, pleine de rebonds même si l'arrivée du printemps est synonyme de gaieté et de renouveau. Comme l'écrit le musicologue Gérard Denizeau,
« le compositeur met l'accent sur la dynamique du rythme et les contrastes de masses sonores, tout en usant de basses simples et répétées ».
Fidèle au dernier vers du sonnet, le premier mouvement (allegro) de ces quatre concertos, est théâtral. Il s'agit bien d'une « entrée en scène » du printemps, à proprement parler, incarnée par un tutti (moment où tous les instruments de l'orchestre jouent) : tous accompagnent le violon dans ce retour à la vie, signant ainsi la sortie de l'hiver. Jugez vous-mêmes au rythme de ce concerto célèbre...en attendant les beaux jours ! Joyeuses fêtes à tous !


Découvrez Antonio Vivaldi!


Source : Guide de la musique , Une initiation par les œuvres, Gerard Denizeau, Guide, 2005

vendredi 14 novembre 2008

Le cerveau de Mozart, Bernard Lechevalier



Le point de départ de ce livre au titre étonnant est connu : le 11 avril 1770, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) âgé de quatorze ans, assiste à la Chapelle Sixtine de Rome, à la représentation du Miserere d'Allegri dont la partition est tenue secrète. De retour chez lui, il en retranscrit, de mémoire, l'intégralité. C'est sur cet exploit, relaté par Léopold, le père Mozart, dans sa correspondance, que Bernard Lechavalier se penche.
Comment est-il possible de mémoriser une telle pièce ? Que se passe-t-il dans la tête de celui qui écrit, de celui qui écoute ? Peut-on expliquer le génie de Mozart ?
S'agit-il du énième livre sur le compositeur de génie, dont l'anniversaire de la naissance a été célébré en grande pompe en 2006 ? Non car l'originalité de cet opuscule tient à son auteur : Bernard Lechavalier n'est pas musicologue mais professeur de neurologie. Son objectif est « non pas de faire une nouvelle biographie de Mozart, mais plutôt de retenir quelques aspects de son histoire, de sa riche personnalité et surtout de l'expression de son génie, pour tenter d'analyser les explications que peut nous apporter la neuropsychologie de la musique ».

Repartant de l'analyse des phénomènes de mémorisation, il s'interroge sur ce qui fait la spécificité de la mémoire musicale. Celle-ci est-elle assimilable aux autres types de mémoires ? Quels sont les mécanismes qui entrent en jeu lorsque l'on écoute de la musique ? A partir de questions aussi basiques, l'auteur mobilise ses connaissances, qui le sont nettement moins, afin d'éclairer le génie de Wolfgang Amadeus d'un coup de projecteur qui a le mérite de sortir quelque peu des sentiers battus.

L'auteur explique la spécificité du cerveau mozartien, par comparaison avec les phénomènes classiques de mémorisation. L'intelligence musicale (qu'il définit comme l'ensemble des capacités cognitives mises en jeu dans l'art musical pour pouvoir mener à bien une démarche musicale) semble être tombée sur Mozart comme Obelix est tombé dans la marmite de potion magique. Celui-ci composait avec une facilité déconcertante :
" Je continue parce que la composition me fatigue moins que le repos"
écrit-il en 1787. Pourtant, sans nier les capacités hors du commun du compositeur (justesse absolue d'oreille et mémoire prodigieuse), l'auteur montre également que celle-ci est le résultat d'un apprentissage qui a commencé dès l'enfance. Son père, Léopold, sévère mais excellent pédagogue musical, a commencé l'instruction de son fils au berceau.
Mozart est un exemple emblématique :
« s'il fut sans doute le musicien le plus doué, il fut également le plus entouré, le plus choyé, le mieux éduqué dans son art ».
Il ne vous aura pas échappé que ce livre est un peu ardu et sacrément technique. Si je dois reconnaître ne pas avoir saisi (ni cherché à comprendre !) tous les détails de la démonstration menée par l'auteur, j'y ai vu un ouvrage stimulant, écrit sous la forme d'un essai, qui a l'avantage prendre le contrepied des biographies "traditionnelles".

Kyrie, tiré du requiem de Mozart



dimanche 9 novembre 2008

"Debout peuple de Russie !", Alexandre Nevski


En pleine période stalinienne et de mobilisation des artistes au service d'un art résolument idéologique, le compositeur Serge Prokofiev (photo) et le cinéaste Sergueï Eisenstein font équipe pour donner une deuxième jeunesse à Alexandre Nevski.

L'intrigue du film Alexandre Nevski, sorti en 1938, reprend un événement phare de l'histoire russe au XIIIe siècle : l'opposition du prince Alexandre Nevski à l'invasion des chevaliers teutoniques. En ces temps de montée des périls, l'ennemi teuton a pris un nouveau visage, qui se cache derrière un drapeau à la croix gammée. L'heure est donc à la mobilisation des esprits derrière la nation « soviétique ». La lutte vaillamment menée et la victoire obtenue brillamment par le jeune prince contre les Teutons vont prendre valeur d'idéal patriotique. L'idée est donc bien de frapper les esprits, ce à quoi s'emploie le compositeur, revenu en Union Soviétique en décembre 1932, après avoir vadrouillé entre l'Europe et les États Unis depuis 1918.

Ayant d'abord pensé utiliser une "authentique" musique du XIIIe siècle, Prokofiev se rétracte au profit d'une composition parlant davantage à l'imaginaire de ses contemporains. Pari réussi puisque la puissance évocatrice de la musique de Prokofiev permet à l'auditeur qui ne connaîtrait pas le film de ressentir, à l'écoute de la cantate, une charge émotionnelle aussi intense que celle qui renaît au souvenir de l'œuvre d'Eisenstein.

La scène illustrée par ce "Debout peuple de Russie" est celle de la préparation à la bataille du lac, bataille dont sort victorieux Alexandre. La musique composée par Prokofiev est à la hauteur de l'héroïsme des "patriotes" , menés d'une main de maître par Alexandre Nevski. A propos du caractère cinématographique de l'écriture, Eisenstein écrit :
« Sa musique est étonnamment plastique, elle n'est jamais une illustration ; elle montre d'une façon étonnante la marche des événements, leur structure dynamique dans laquelle se concrétise l'émotion. »
Alors que se tient cette semaine la 9ème édition du Festival Musique et Cinéma dans l’Yonne, je tenais à revenir sur un classique parmi les classiques.....sur une partition gigantesque d'un compositeur qui a eu la malchance de mourir dans l'indifférence générale, le 5 mars 1953, le même jour qu'un certain.....Staline !

Illustration à la minute 3



Découvrez Prokofiev Edition!

vendredi 7 novembre 2008

« Il y a beaucoup à faire sur cette terre, hâte-toi» Ludwig van Beethoven

Contrairement à ce que le titre de ce recueil de notes pourrait laisser entendre, ces Carnets intimes ne sont pas une somme de secrets d'alcôves...bien heureusement d'ailleurs !


Ce qui frappe d'abord à la lecture, c'est le caractère abrupt voire inélégant de ces courtes notes.
Allant de formules lapidaires, qui n'ont que peu de sens sorties de leur contexte, à des pensées plus profondes, elles permettent de retrouver, si ce n'est le musicien, du moins l'homme de la Pastorale. Si c'est d'abord à lui-même que Beethoven s'adresse, il n'en demeure pas moins que le lecteur a dans les mains un document particulièrement riche.

Ce que Beethoven (1770-1827) exprime dans ces quelques pages est un véritable culte de l'action. Celle-ci semble le remède à tous les maux. Comme un artisan besogneux à sa tache, le compositeur se montre résigné.
« Résignation, résignation, profonde à ton sort ! Seule, elle te permettra d'accepter les sacrifices que demande le 'service' ».
« Pour chasser la pensée du mal qui t'afflige, tu ne saurais trouver moyen meilleur que l'occupation. »
Ceci est d'autant plus vrai que l'ardeur au travail doit être recherchée pour elle-même. Travailler à son chevet apparaît comme un sacerdoce, un sacrifice, une véritable vocation.
" Le but de ton effort doit être l'action et non ce qu'elle donnera. Ne sois pas de ceux qui, pour agir, ont besoin de ce stimulant : l'espoir de la récompense. »
Si certains passages semblent dévoiler un Beethoven bon soldat, travaillant d'arrache-pied à sa partition comme un artisan à son œuvre, ces pages ne sont pas celles d'un monstre froid. C'est ici un homme seul qui s'exprime, désemparé face à sa surdité.
« Ah ! Comment avouer la faiblesse d'un sens, qui, chez moi, devrait être infiniment plus développé que chez les autres (...) ».
Dans son Testament, daté de 1802, Beethoven revient sur un comportement que certains de ses contemporains ont pu interpréter comme de la froideur :
« Il me faut vivre en proscrit. Si je m'approche d'une société, aussitôt je me sens pris d'une angoisse terrible dans la crainte où je suis d'être exposé au danger qu'on remarque mon état. »
Pourtant, on aurait tord de croire que le compositeur se morfond dans une solitude pathétique....
Seul et retiré , il semble tout à fait lucide sur son talent et conscient de ne pas être un homme ordinaire. Dans son Testament, c'est au lecteur lui-même qu'il s'adresse, dans une parole à caractère prophétique :
« Oh vous, qui lirez un jour ceci, pensez que vous avez été injustes pour moi; et que le malheureux comme lui, qui, en dépit de tous les obstacles de la nature s'est toujours efforcé d'être admis au rang des artistes et des hommes d'élite ! »
Enfin et surtout, et c'est ceci qui rend le message de Beethoven particulièrement riche, c'est l'urgence, la volonté de ne pas perdre de temps qui transparaissent : le passage sur terre peut s'avérer de courte durée.
« Il y a beaucoup à faire sur cette terre, hâte-toi. »
Si le compositeur s'adressait d'abord à lui-même, c'est à chacun d'entre nous que cet avertissement semble destiné !