Cette bande dessinée a de quoi dérouter un lecteur non averti tant le monde créé par Pascal Jousselin est le théâtre de scènes incongrues…En effet, au fil des pages, il pleut des harengs pourris, la moquette mute, tandis qu’une vénérable dame d’une soixantaine d’années se voit contrainte de veiller une nuit par semaine car le fantôme de Fred Astaire lui rend visite à heure fixe. Nulle logique à chercher dans tout cela : les séquences de cette bande dessinée se lisent comme on écoute les titres d’un cd et sont autant d’improvisations sur des thèmes. A l’instar des plages d’un disque, celles-ci peuvent être lues indépendamment les unes des autres. Le seul fil rouge reliant ces séquences est le jazz puisque les titres de ces dernières reprennent des morceaux immortalisés par Chet Baker, John Coltrane ou Miles Davis. Par ailleurs, conformément à l’esprit du jazz qui consiste à improviser à l’envi autour de thèmes, Pascal Jousselin semble improviser autour de classiques. L’originalité de cette bande dessinée repose ainsi sur le parti-pris de l’auteur de faire le pont entre la musique et le dessin. Dans ces improvisations illustratives, ce dernier reprend à son compte des titres tels que « It’s the same old story » ou « Silence » pour mettre en scène des amateurs de jazz anonymes. La richesse de cet opus vient d’ailleurs du brouillage entre le réel et le monde imaginaire car ces individus, évoluant dans cet univers étrange, semblent être autant de facettes de doux dingues, amateurs fous, dans lesquels il est aisé pour le lecteur de se reconnaître. Pour eux, il est possible d’atteindre un moment de grâce par la musique, ce genre d’instant où le temps semble s’arrêter et reléguer pendant quelques secondes les aléas du quotidien au rang de vague souvenir. A la fin d’une journée ratée, une chanteuse de jazz amateur relate ceci en entonnant "Everythinng happens to me" de Chet Baker :
"A la répétition, il s’est passé un truc indescriptible entre nous trois