vendredi 14 novembre 2008

Le cerveau de Mozart, Bernard Lechevalier



Le point de départ de ce livre au titre étonnant est connu : le 11 avril 1770, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) âgé de quatorze ans, assiste à la Chapelle Sixtine de Rome, à la représentation du Miserere d'Allegri dont la partition est tenue secrète. De retour chez lui, il en retranscrit, de mémoire, l'intégralité. C'est sur cet exploit, relaté par Léopold, le père Mozart, dans sa correspondance, que Bernard Lechavalier se penche.
Comment est-il possible de mémoriser une telle pièce ? Que se passe-t-il dans la tête de celui qui écrit, de celui qui écoute ? Peut-on expliquer le génie de Mozart ?
S'agit-il du énième livre sur le compositeur de génie, dont l'anniversaire de la naissance a été célébré en grande pompe en 2006 ? Non car l'originalité de cet opuscule tient à son auteur : Bernard Lechavalier n'est pas musicologue mais professeur de neurologie. Son objectif est « non pas de faire une nouvelle biographie de Mozart, mais plutôt de retenir quelques aspects de son histoire, de sa riche personnalité et surtout de l'expression de son génie, pour tenter d'analyser les explications que peut nous apporter la neuropsychologie de la musique ».

Repartant de l'analyse des phénomènes de mémorisation, il s'interroge sur ce qui fait la spécificité de la mémoire musicale. Celle-ci est-elle assimilable aux autres types de mémoires ? Quels sont les mécanismes qui entrent en jeu lorsque l'on écoute de la musique ? A partir de questions aussi basiques, l'auteur mobilise ses connaissances, qui le sont nettement moins, afin d'éclairer le génie de Wolfgang Amadeus d'un coup de projecteur qui a le mérite de sortir quelque peu des sentiers battus.

L'auteur explique la spécificité du cerveau mozartien, par comparaison avec les phénomènes classiques de mémorisation. L'intelligence musicale (qu'il définit comme l'ensemble des capacités cognitives mises en jeu dans l'art musical pour pouvoir mener à bien une démarche musicale) semble être tombée sur Mozart comme Obelix est tombé dans la marmite de potion magique. Celui-ci composait avec une facilité déconcertante :
" Je continue parce que la composition me fatigue moins que le repos"
écrit-il en 1787. Pourtant, sans nier les capacités hors du commun du compositeur (justesse absolue d'oreille et mémoire prodigieuse), l'auteur montre également que celle-ci est le résultat d'un apprentissage qui a commencé dès l'enfance. Son père, Léopold, sévère mais excellent pédagogue musical, a commencé l'instruction de son fils au berceau.
Mozart est un exemple emblématique :
« s'il fut sans doute le musicien le plus doué, il fut également le plus entouré, le plus choyé, le mieux éduqué dans son art ».
Il ne vous aura pas échappé que ce livre est un peu ardu et sacrément technique. Si je dois reconnaître ne pas avoir saisi (ni cherché à comprendre !) tous les détails de la démonstration menée par l'auteur, j'y ai vu un ouvrage stimulant, écrit sous la forme d'un essai, qui a l'avantage prendre le contrepied des biographies "traditionnelles".

Kyrie, tiré du requiem de Mozart



dimanche 9 novembre 2008

"Debout peuple de Russie !", Alexandre Nevski


En pleine période stalinienne et de mobilisation des artistes au service d'un art résolument idéologique, le compositeur Serge Prokofiev (photo) et le cinéaste Sergueï Eisenstein font équipe pour donner une deuxième jeunesse à Alexandre Nevski.

L'intrigue du film Alexandre Nevski, sorti en 1938, reprend un événement phare de l'histoire russe au XIIIe siècle : l'opposition du prince Alexandre Nevski à l'invasion des chevaliers teutoniques. En ces temps de montée des périls, l'ennemi teuton a pris un nouveau visage, qui se cache derrière un drapeau à la croix gammée. L'heure est donc à la mobilisation des esprits derrière la nation « soviétique ». La lutte vaillamment menée et la victoire obtenue brillamment par le jeune prince contre les Teutons vont prendre valeur d'idéal patriotique. L'idée est donc bien de frapper les esprits, ce à quoi s'emploie le compositeur, revenu en Union Soviétique en décembre 1932, après avoir vadrouillé entre l'Europe et les États Unis depuis 1918.

Ayant d'abord pensé utiliser une "authentique" musique du XIIIe siècle, Prokofiev se rétracte au profit d'une composition parlant davantage à l'imaginaire de ses contemporains. Pari réussi puisque la puissance évocatrice de la musique de Prokofiev permet à l'auditeur qui ne connaîtrait pas le film de ressentir, à l'écoute de la cantate, une charge émotionnelle aussi intense que celle qui renaît au souvenir de l'œuvre d'Eisenstein.

La scène illustrée par ce "Debout peuple de Russie" est celle de la préparation à la bataille du lac, bataille dont sort victorieux Alexandre. La musique composée par Prokofiev est à la hauteur de l'héroïsme des "patriotes" , menés d'une main de maître par Alexandre Nevski. A propos du caractère cinématographique de l'écriture, Eisenstein écrit :
« Sa musique est étonnamment plastique, elle n'est jamais une illustration ; elle montre d'une façon étonnante la marche des événements, leur structure dynamique dans laquelle se concrétise l'émotion. »
Alors que se tient cette semaine la 9ème édition du Festival Musique et Cinéma dans l’Yonne, je tenais à revenir sur un classique parmi les classiques.....sur une partition gigantesque d'un compositeur qui a eu la malchance de mourir dans l'indifférence générale, le 5 mars 1953, le même jour qu'un certain.....Staline !

Illustration à la minute 3



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vendredi 7 novembre 2008

« Il y a beaucoup à faire sur cette terre, hâte-toi» Ludwig van Beethoven

Contrairement à ce que le titre de ce recueil de notes pourrait laisser entendre, ces Carnets intimes ne sont pas une somme de secrets d'alcôves...bien heureusement d'ailleurs !


Ce qui frappe d'abord à la lecture, c'est le caractère abrupt voire inélégant de ces courtes notes.
Allant de formules lapidaires, qui n'ont que peu de sens sorties de leur contexte, à des pensées plus profondes, elles permettent de retrouver, si ce n'est le musicien, du moins l'homme de la Pastorale. Si c'est d'abord à lui-même que Beethoven s'adresse, il n'en demeure pas moins que le lecteur a dans les mains un document particulièrement riche.

Ce que Beethoven (1770-1827) exprime dans ces quelques pages est un véritable culte de l'action. Celle-ci semble le remède à tous les maux. Comme un artisan besogneux à sa tache, le compositeur se montre résigné.
« Résignation, résignation, profonde à ton sort ! Seule, elle te permettra d'accepter les sacrifices que demande le 'service' ».
« Pour chasser la pensée du mal qui t'afflige, tu ne saurais trouver moyen meilleur que l'occupation. »
Ceci est d'autant plus vrai que l'ardeur au travail doit être recherchée pour elle-même. Travailler à son chevet apparaît comme un sacerdoce, un sacrifice, une véritable vocation.
" Le but de ton effort doit être l'action et non ce qu'elle donnera. Ne sois pas de ceux qui, pour agir, ont besoin de ce stimulant : l'espoir de la récompense. »
Si certains passages semblent dévoiler un Beethoven bon soldat, travaillant d'arrache-pied à sa partition comme un artisan à son œuvre, ces pages ne sont pas celles d'un monstre froid. C'est ici un homme seul qui s'exprime, désemparé face à sa surdité.
« Ah ! Comment avouer la faiblesse d'un sens, qui, chez moi, devrait être infiniment plus développé que chez les autres (...) ».
Dans son Testament, daté de 1802, Beethoven revient sur un comportement que certains de ses contemporains ont pu interpréter comme de la froideur :
« Il me faut vivre en proscrit. Si je m'approche d'une société, aussitôt je me sens pris d'une angoisse terrible dans la crainte où je suis d'être exposé au danger qu'on remarque mon état. »
Pourtant, on aurait tord de croire que le compositeur se morfond dans une solitude pathétique....
Seul et retiré , il semble tout à fait lucide sur son talent et conscient de ne pas être un homme ordinaire. Dans son Testament, c'est au lecteur lui-même qu'il s'adresse, dans une parole à caractère prophétique :
« Oh vous, qui lirez un jour ceci, pensez que vous avez été injustes pour moi; et que le malheureux comme lui, qui, en dépit de tous les obstacles de la nature s'est toujours efforcé d'être admis au rang des artistes et des hommes d'élite ! »
Enfin et surtout, et c'est ceci qui rend le message de Beethoven particulièrement riche, c'est l'urgence, la volonté de ne pas perdre de temps qui transparaissent : le passage sur terre peut s'avérer de courte durée.
« Il y a beaucoup à faire sur cette terre, hâte-toi. »
Si le compositeur s'adressait d'abord à lui-même, c'est à chacun d'entre nous que cet avertissement semble destiné !



samedi 1 novembre 2008

Staatskapelle Berlin - Boulez Dorothea Röschmann

Pierre Boulez, qui a récemment achevé l’enregistrement de toutes les symphonies de Mahler, dirigera la Staatskapelle Berlin dans un programme entièrement dédié au compositeur autrichien.
Comme nous le rappelle le dossier du Monde de la Musique du mois de novembre au titre évocateur ("La mode Mahler"), Mahler est à l'honneur cette année. Après un demi-siècle de purgatoire, il est devenu la coqueluche du public et des orchestres. Cette saison, c’est le raz-de-marée. Parallèlement à la programmation de la salle Pleyel, le chef de l'Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach, a donné mercredi 22 octobre le coup d'envoi d'un nouveau cycle consacré au compositeur.


Le lundi 03 novembre 2008 à 20 heures.

Invitation au voyage

« L'art est fait pour exprimer la beauté et le caractère. La sensibilité vient après et l'art peut parfaitement s'en passer ; c'est même tant mieux pour lui quand il s'en passe. » Camille Saint-Saëns
Si Camille Saint-Saëns (1835-1921), compositeur, organiste virtuose est considéré par ses contemporains comme le musicien le plus « intelligent » de France dans la seconde moitié du XIXème siècle, son œuvre a cependant souvent été taxée de brillante mais froide. Aussi précoce que Mozart (le jeune Camille aurait composé pour la première fois peu après son troisième anniversaire), il fut le maître d'œuvre d'une musique claire, élégante, parfaitement proportionnée et d'une technique toujours impeccable. Virtuose génial, l'organiste serait-il dénué de sensibilité ?

Il suffit d'écouter le cinquième concerto pour piano, dit « égyptien » pour se défaire de cette idée....
Dans ce concerto, le compositeur convalescent a, de toute évidence, succombé aux charmes des contrées lointaines. Ce concerto sonne comme une véritable invitation au voyage, peignant un tableau qui n'est pas sans rappeler l'invitation poétique de Charles Baudelaire.
« Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale. »

Contraint par son état de santé vacillant de quitter régulièrement Paris, Camille Saint-Saëns prend le chemin de l'Afrique du Nord. Le concerto « égyptien » a en effet été écrit lors d'une des fréquentes villégiatures hivernales que le compositeur faisait en Égypte pour échapper aux brumes de Paris. Le pays des pharaons semble être un de ses lieux de prédilection, propice à quelques partitions fameuses, ce qui n'est pas pour déplaire aux mélomanes.

Ce concerto apparait comme une œuvre très descriptive, inspirée par les sons et les images. Tout comme Baudelaire, faisant appel à tous les sens, la musique frappe ici par sa puissance imaginative. Rappelons que l'image a joué un rôle considérable dans l'œuvre de Saint-Saëns, puisqu'il a composé pour le théâtre mais aussi, dès 1908, pour le cinéma (pour le film L’Assassinat du duc de Guise), faisant de lui un pionnier en la matière : en sortant la musique de sa tour d'ivoire, le compositeur initiait une tendance promise à un brillant avenir.

D’inspiration « arabisante » dans certains de ses thèmes, le cinquième et dernier concerto pour piano de Saint-Saëns est esquissé à Louxor en 1895 avant d'être créé un an plus tard par l’auteur lors d’un concert qui célébrait le cinquantenaire du compositeur comme pianiste virtuose.

Dans le livret Decca, James Harding décrit ce son et lumière dans des termes qui lui sont propres :
« lumière de l'aube soudain aveuglante, coassement des grenouilles du Nil, chants qui s'élèvent des dahabiehs remontant les eaux bleues du fleuve ».
En termes musicaux, le finale où s'entend la pulsation des machines du navire ramenant le voyageur en France, s'ouvre par un rythme saccadé où le piano répond à l'orchestre par une descente vertigineuse aux accents orientaux. Le rythme, « d'abord appuyé, prend une grâce fluide et finit par se perdre en un plaintif pas de danse avant d'émerger à nouveau dans un sonore tutti » (Harding).

Jugez vous-mêmes....C'est Sviatoslav Richter (encore !) qui est au piano dans le denier mouvement (final) du concerto.