jeudi 11 février 2010

Happy living


Dans le film Incognito, Bénabar, qui y tient le rôle principal, connait un succès foudroyant en reprenant les chansons d'un vieil ami qu'il croit mort. A l’origine de "Happy living", bande dessinée signée Jean-Claude Götting, on retrouve une histoire d’imposture musicale. Celle d'un homme, Monsieur Slatters, récoltant les royalties d'un morceau (Happy living) qu'il n'a pas composé. Succès depuis son invention, mainte fois reprise, cette chanson n'est en fait pas venue couronner son auteur, un batteur tombé dans l’anonymat depuis plus de trente ans.

Rongé par les remords et ignoré par un fils qui le déteste, Slatters, qui se sait condamné à une mort prochaine, décide d’engager un journaliste français, François Merlot pour retrouver son ancien compagnon de route.

Ecumant les clubs de jazz et discothèques, le journaliste tente de percer à jour ce mystère. A coups de fausses pistes, d'allers-retours entre New York, Los Angeles et San Francisco, notre nouveau venu dans le monde des détectives privés va tour à tour croiser des morts, mais aussi plonger le lecteur dans l’univers du jazz des années 1960. La tâche n’est pas aisée car, lorsqu’ils ne sont pas devenus grabataires et sourds, la plupart des gloires passées du jazz ne sont plus de ce monde. Pas simple dans ce contexte de retrouver la trace d’un batteur, génial mais alcoolique au dernier degré.

Effleurant sans jamais se prendre au sérieux des questions telles que la célébrité ou la famille, cet album, croise plusieurs destins. A cheval sur deux continents, l’Europe et l’Amérique, les protagonistes, à défaut de bien se connaître, s’admirent. Ainsi cette serveuse de café, tout droit sortie d’un western du 21ème siècle, venue de sa province natale pour trouver la célébrité, rêvant de la France et de son cinéma. C’est le cas également de notre journaliste, ayant traversé l’Atlantique, pour marcher sur les pas d’un temps fantasmé du jazz qu’il n’a pas connu.

Si la réalité est moins glorieuse que les rêves que ces personnages ont construits, reste l’espoir…car malgré un dessin noir et blanc aux traits sombres et épais, cette bande dessinée en est remplie, à l’instar du titre de la chanson éponyme, « Happy living ».

Happy living, Jean-Claude Götting, Delcourt, Mirages, 2007


dimanche 24 janvier 2010

Tigran Hamasyan


Dans la biographie qu’il a consacrée à René Goscinny, l’historien Pascal Ory écrit :

« Comme bon nombre de success stories occidentales au XXème siècle, tout cela commence en histoire juive –typiquement juive, se poursuit en histoire nationale – typiquement nationale – et s’achève en histoire universelle – Presque totalement universelle ».

Si je ne me hasarderais pas à comparer le succès de l’éminent (je dirais même hilarant) scénariste du Petit Nicolas au jeune jazzman Tigran Hamasyan, je dois cependant reconnaître que le destin de ce dernier rassemble bien des éléments d’une success story. Encensé par la critique pour chacun de ses opus, faisant salle comble pour tous ses concerts, il compte également à l’actif de sa jeune carrière plusieurs prix prestigieux.

Pourtant, naître en 1987 à Gumri, en Arménie, peu avant que la ville ne soit ravagée par un tremblement de terre, le 7 décembre 1988, ne prédestine pas à fouler un jour le pied du New Morning et autres salles mondiales. Nulle volonté cependant de tomber dans le misérabilisme car il est bien question ici de talent.

L’histoire de Tigran Hamasyan, vous l’aurez compris, n’est pas juive mais arménienne. Elle commence il y 22 ans au nord ouest de ce petit pays niché entre la Turquie et l’Iran. Arménienne, elle l’est surtout tant sa musique est imprégnée d'airs populaires et tant les titres de certains de ses morceaux se réfèrent, non sans nostalgie (« Native land », « Forgotten world », « Homesick »), à ses racines. Sans jamais tomber dans le folklore, la mayonnaise du pianiste et de ses musiciens prend… Entre invitation au voyage et au rêve, le jeune pianiste, qui a sorti en février 2009 son troisième album, excelle aussi bien dans des mélodies sucrées qu'il semble susurrer à l'oreille des auditeurs ("Leaving Paris" ou "Love song", cf. ci-dessous) que dans les adaptations de standards (Thelonious Monk, Miles Davis). C'est cette fusion réussie qui rend l'œuvre de Tigran Hamasyan inclassable et, par conséquent, universelle.